Le Grand Inga - une fausse solution à la pauvreté énergétique

By: 
Ange Asanzi
Inga 1 dam, Bas-Congo
Inga 1 dam, Bas-Congo

 

La centrale hydroélectrique du Grand Inga en République démocratique du Congo sera située sur le fleuve Congo, près de la ville de Matadi, à environ 250 km au sud-ouest de Kinshasa et à 150 km en amont de l'estuaire du Congo. Une fois construit dans la partie basse du fleuve Congo, le Grand Inga constituerait la plus grande centrale hydroélectrique au monde, d'une capacité de 40 000 MW, une puissance suffisante pour approvisionner un tiers de la demande actuelle d’électricité en Afrique subsaharienne (à l'exception de l’Afrique du Sud). La CDAA, le NEPAD, le SAPP ont classé le Grand Inga comme projet prioritaire pour la région en raison de son énorme potentiel électrique.

Ainsi, Inga 3 Basse Chute est actuellement un sujet incontournable dans les diverses rencontres sur l'énergie en Afrique. Ce barrage est le premier des sept barrages qui formeront le Grand Inga une fois achevé. Le barrage d'Inga 3 (barrage de 4 800 MW) est encore en phase de planification. La puissance produite par Inga 3 sera distribuée en Afrique du Sud (2 500 MW), aux mines du Katanga (1 300 MW) et le solde ira à Kinshasa. Il est certain que le reste du pays ne sera pas desservi par Inga 3 et restera vraisemblablement dans l'obscurité pour encore longtemps.

Le tableau ci-dessous montre l'accès à l'énergie par province selon l'Atlas des énergies renouvelables de la RDC de 2014. Les bénéficiaires seront les habitants de Kinshasa qui disposent déjà d'un accès à l’énergie bien plus important que n'importe quelle autre partie du pays. À l'heure actuelle, la RDC a un déficit énergétique de 3 040 MW (1760 MW de moins que ce qui serait produit par Inga 3), et Kinshasa est la seule province avec un taux d'accès d'énergie significatif.

 

Tableau 1 : Déficit énergétique et potentiel de la RDC

Province

Déficit énergétique

Taux d’accès (%)

Potentiel énergétique

Bandundu

343 MW

0.6

Solaire, hydroélectrique

Bas-Congo

108 MW

11.3

Solaire, éolien, hydroélectrique

Equateur

399 MW

1.4

Solaire, hydroélectrique

Kasai-Occidental

292 MW

0.5

Solaire, hydroélectrique

Kasai-Oriental

303 MW

1

Solaire, éolien (élevé), hydroélectrique

Katanga

333 MW

7.1

Solaire (élevé), éolien (élevé), biomasse, hydroélectrique

Maniema

103 MW

3

Solaire (élevé), hydroélectrique

Province-Orientale

398 MW

3.6

Solaire, hydroélectrique

Sud-Kivu

180 MW

7.9

Solaire, éolien, biomasse, géothermie, gaz naturel, hydroélectrique

Nord-Kivu

139 MW

3.1

Solaire, éolien, biomasse, géothermie, gaz naturel, hydroélectrique

Kinshasa

442 MW

44.10

Solaire, biomasse

Total

3040 MW

 

 

En outre, il est important de noter que même si la RDC voulait augmenter l'accès à l'électricité, Inga 3 n'est pas la solution. Les connexions du réseau national sont de mauvaise qualité et, ne desservant que les grands centres urbains, n'atteignent pas la majeure partie du pays. Ainsi, tous les petits centres et la population rurale n'en bénéficieront toujours pas. Il serait tout simplement trop coûteux de fournir de l’électricité à des zones peu peuplées.

Le gouvernement congolais n’a cessé de déclarer que les revenus générés par le projet Grand Inga seraient réinvestis dans le secteur de l'énergie pour accroître le nombre de petites centrales hydroélectriques dans les autres provinces. Si ces projets doivent attendre Inga 3 pour démarrer, ils pourraient bien ne jamais se réaliser. Au regard des expériences dans d’autres pays, il est peu probable qu'Inga 3 soit achevé dans les 10 années à venir. De plus, il n’est pas évident que des revenus soient dégagés dès le premier jour d’activité pour financer des projets ailleurs dans le pays. Les promoteurs du projet ont simplement émis l’hypothèse qu’il y aurait des bénéfices et que les fonds seraient acheminés où ils devraient l’être. L'histoire nous prouve le contraire. Il est avéré que les grandes infrastructures sont sujets à des surcoûts, d’importants retards et présente des niveaux élevés de corruption. Ces éléments font d'Inga 3 un modèle insoutenable et inadapté pour répondre aux besoins énergétiques des Congolais. Inga 3 est un modèle colonial qui sert les quelques privilégiés des centres urbains. Les 55 millions de personnes vivant à l'extérieur de Kinshasa ont également besoin d'électricité. Le gouvernement de la RDC ne peut pas perpétuer l'héritage de Mobutu en envoyant l’électricité à des milliers de kilomètres tout en laissant pour compte des villages et des villes sur son passage.

Au cours des dernières années, les responsables de la RDC et de la région ont largement concentré toutes les ressources et leurs efforts sur le site d’Inga qui détient près de 40% du potentiel hydroélectrique du pays et ont malheureusement négligé les sites représentant les 60% restants à travers le pays. Ces derniers exigeraient des centrales plus petites, moins de capitaux et permettraient de répondre aux besoins à travers le pays. D'autres technologies d'énergie renouvelable, telles que l'énergie solaire et l'énergie éolienne, deviennent compétitives et contribueraient grandement à réduire la pauvreté énergétique. Le solaire et l’éolien sont rapides à déployer et résilients face au changement climatique ; à présent ils concurrencent même l’hydroélectrique en terme de prix – selon Engie, un prix moyen de 30 USD/MWh a été enregistré pour l’énergie solaire dans des contextes très spécifiques.

Il est nécessaire d'adopter de nouvelles technologies qui sont propres, abordables et qui augmentent l'accès à l’électricité pour la majorité. Inga est et restera un projet démodé qui bénéficiera à un groupe d'élite : les entreprises de construction, les mines, les consultants, mais pas au peuple congolais en général.

Alors, pourquoi Inga ? Et pourquoi cela devrait compter pour les Congolais ? Cela devrait compter car si ce projet n’est pas bien réfléchi, il suivra l'héritage des minéraux de la RDC, bénéficiant à tout le monde sauf à son peuple. Cela devrait compter car le panache du fleuve Congo est l'un des plus grands puits de carbone au monde, essentiel pour l'atténuation en cette période de changement climatique. Cela devrait compter parce que nous nous soucions de l'environnement, et des personnes innocentes qui vont en payer le prix. Mais avant tout, cela devrait compter car il est moralement inacceptable pour la RDC d'exporter de l'électricité alors que 91% de sa population n'y a pas accès. 

Date: 
Thursday, December 8, 2016