Le Congo alimente la révolution technologique alors qu'il reste enlisé dans la pauvreté énergétique

By: 
Ange Asanzi

J'ai voyagé à travers le Katanga dans le sud-est de la RDC, et tout ce que j'y ai trouvé ce sont des lignes de transmission électriques et une série de promesses non tenues.

Plus tôt ce mois-ci, j'ai eu l'occasion de retourner à Lubumbashi, dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), une ville animée où j'avais vécu enfant. Ce qui m'a frappé quand j’ai voyagé dans la campagne environnante, ce sont les lignes de transmission - elles sont partout, traversant les villages, les villes et les forêts, transmettant l’énergie aux mines et aux centres urbains de l'ancienne province du Katanga. Après avoir vu tant de lignes de transmission et de poteaux, j'ai appris à repérer la ligne de transmission d’Inga : une grande structure en forme de tour Eiffel, avec deux barres suspendues d'un côté et une de l'autre.

Comme un villageois me l'a dit, "je sais que cette énergie vient d'Inga, de l'autre côté de notre pays ..." Mais il ne verra pas un seul kilowatt de cette énergie dans son village.
 
Le Katanga, qui comptait parmi les provinces les plus riches de la RDC, a été divisé en quatre provinces en 2015. C'est une riche région minière qui fournit au monde industrialisé du cobalt, du cuivre, de l'étain, du radium, de l'uranium et de l'or pour construire tous ses produits, de ses téléphones portables à ses centrales nucléaires. En raison de l'activité minière, il y a toujours eu une demande en énergie plus élevée dans le sud de la RDC.
 
Dans les années 1970 et 1980, les barrages d’Inga 1 et 2 ont été construits pour alimenter les mines par une ligne de transmission de 1 700 kilomètres reliant les centrales hydroélectriques de l'ouest de la RDC aux champs miniers du Katanga dans le sud-est. La ligne de transmission laisse de côté des millions de Congolais en cours de route, les abandonnant à l'obscurité. Près des barrages, les ayants droits sur les terres ont été déplacés sans compensation et ont été privés de leurs moyens de subsistance, impacts dont ils n'ont toujours pas récupéré.

Près de 50 ans plus tard, la même histoire se répète
 
La RDC est l’exemple type de la malédiction des ressources : elle est dotée de ressources naturelles abondantes, mais les résultats en termes de développement et de gouvernance sont maigres. Aujourd'hui, plus de 65% des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté, tandis que leurs ressources sont pillées et leurs revenus détournés.
 
Depuis la fin officielle de la guerre civile en RDC en 2003, la Banque mondiale a injecté plus d'un milliard de dollars dans le pays pour réhabiliter les centrales hydroélectriques d'Inga et la ligne de transmission vers le Katanga afin de stimuler l'extraction minière. Plus récemment, la Banque mondiale a annulé son soutien au projet de barrage d'Inga 3 en raison de l'ingérence politique du gouvernement. La Banque a également financé un nouveau tronçon de ligne de transmission, qui traverse les centres urbains et impacts les villages situés sur son chemin allant du Lualaba aux zones minières de Zambie.

Les citoyens ont crié au scandale, critiquant la Banque pour son habitude de financer des lignes de transmission contournant les populations en situation de pauvreté énergétique. La Banque mondiale a donc pris des dispositions pour fournir des infrastructures de base à sept villages situés le long de la nouvelle route de transmission. Dans chaque village, une école, un hôpital ainsi qu’un éclairage public de sa route principale ont été construits. Les communautés locales étaient tout d’abord satisfaites des nouvelles installations : un jeune homme de Shinga m'a dit que leur hôpital local s'occupait même de patients de la Zambie voisine. Cependant, beaucoup des promesses faites n'ont pas été tenues, et ce constat résonne dans les sept villages.
 
"Nous avons eu des réunions avec la SNEL [la compagnie nationale d'électricité de la RDC]. Ils ont promis qu'ils viendraient installer l'électricité dans nos maisons, mais nous ne les avons pas revus depuis. Tout ce que nous avons, c'est l'éclairage public, mais dans nos maisons nous restons dans le noir ", a déclaré un membre de la communauté locale.
 
Lors de notre premier arrêt à Nguba, nous avons vu le chef porter un panneau solaire endommagé lors de son déplacement. « Beaucoup de gens ici ont modifié leurs maisons dans l’espoir de pouvoir se brancher au réseau électrique », explique le chef. Mais l'électricité promise ne s'est jamais matérialisée.
 
L'accès à l'électricité des ménages n'est pas la seule promesse non tenue. Les gens qui ont été affectés par les lignes de transmission dans le village de Shinga nous ont dit qu'ils n'avaient pas reçu de compensation pour avoir concédé le droit de passage, on leur a dit que les fonds avaient été détournés.

A présent, ces villages qui ont été forcés de céder leurs terres pour ces lignes de transmission, se préparent à un nouveau cycle de déplacement. Telles que prévues actuellement, les lignes de transmission du barrage d’Inga 3 - cette fois-ci destinées aux villes et aux mines d'Afrique du Sud - suivraient le même tracé au sein de leurs villages. Le même cycle se répéterait encore.

Souffrant à la source

Pour moi, il est impossible de dissocier ces lignes de transmission des populations d'Inga ou du fleuve Congo, où l’énergie est produite.

Je suis allé plusieurs fois à Inga et j'y ai vu les personnes sans terre, expulsées de force et qui ne s’en sont jamais remises. J'ai passé du temps dans les campements des déplacés d'Inga, à Kilengo, à Mvuzi 3, à Lundu, à Lubwaku et au Camp Kinshasa, où j'ai entendu et vu la détresse des gens trompés par leur propre gouvernement. Ils n'ont pas d'électricité, ils sont pourtant les plus proches des barrages d'Inga, plus proches qu'aucun d'entre nous. Cela me fait mal d'y penser. A plus de 1700 km de là, sous les lignes électriques du Katanga leurs frères et leurs sœurs souffrent de la même situation : pas d'énergie.

Pendant tout ce temps, le gouvernement et les financiers ne parviennent pas à répondre à une question simple : comment ces soi-disant projets de développement peuvent-ils assurer un développement quelconque s'ils ne parviennent pas à subvenir aux besoins fondamentaux des populations ?
 
Une fois, j'ai assisté à une réunion avec Bruno Kapandji, le chef de l'agence gouvernementale en charge d'Inga 3, qui demandait à la société civile de devenir ambassadrice d'Inga 3. M. Kapandji ne savait pas qu'il prêchait une fervente partisanne d’un développement pour le bénéfice des gens mais aussi une amoureuse du fleuve Congo. Après tout ce que j'ai vu, entendu et expérimenté, les seules personnes que je pourrais représenter ou dont je pourrai défendre la cause, sont les habitants d’Inga, de Kilengo, de Lubwaku, de Mvuzi 3, de Camp Kinshasa et de Lundu qui vivent dans l'incertitude de quand Inga 3 finira par bouleverser leurs vies. Il en est de même pour les habitants de Nguba, Shinga, Kampemba, Tumbwe et des autres villages qui vivent sous les lignes électriques. Ces lignes transmettent assez d'électricité pour alimenter plus de 10 millions de foyers, mais pratiquement tout est destiné aux mines et rien ne parvient aux populations en situation de pauvreté énergétique. Ces personnes ne bénéficieront pas d'Inga 3, mais leurs moyens de subsistance seront affectés. Ces gens sont unis en disant Non à Inga 3, mais oui à l'électricité et oui au développement.
 
L'histoire montre, dans notre propre pays et ailleurs, que la marque laissée par les barrages est avant tout celle de la pauvreté. Des milliards de dollars ont été investis au Congo, mais la plupart des gens manquent encore des infrastructures de base. Alors que d'autres font la promotion du barrage d'Inga 3, nous refusons un développement qui ne bénéficie pas au peuple.

 

Date: 
Monday, February 19, 2018