Les femmes d’Inga : un portrait de résistance

A woman addresses her fellow villagers in Inga.
A woman addresses her fellow villagers at Mvuzi 3 - Inga.
Ange Asanzi/International Rivers

 

“Allez et dites-leur que nous, les femmes d’Inga, souffrons”

Une chose est sure: les femmes d'Inga sont autosuffisantes.

Elles cultivent des avocats, oranges, bananes, manioc, arachides et haricots. Elles récoltent des plantes médicinales pour soigner leurs malades; presque tout ce qu'elles consomment provient de leurs propres terres.

Ces femmes travaillent dur pour joindre les deux bouts du mois; Leurs époux sont au chômage et l'agriculture est devenue leur seul moyen de subsistance.

Elles ont été abandonnées par le gouvernement congolais, et privées des services essentiels, y compris l'eau, l'énergie, les écoles, les hôpitaux et les routes ; Cependant, ces femmes survivent depuis des décennies grâce à la rivière et la forêt.

Bien que leurs caractères rigoureux soit impressionnant, elles attendent depuis des décennies l'électricité et les emplois promis qui rendraient leurs vies plus facile.

Ces femmes vivent près des chutes d'Inga, des rapides sur la partie inférieure du fleuve Congo, en République démocratique du Congo.

Dans les années 70 et 80, le gouvernement congolais avait construit deux grands barrages, Inga 1 et 2, pour exploiter le pouvoir de la rivière.

Le gouvernement avait promis que les barrages apporteraient de l’emploi et de l'électricité aux villages dans les environs du barrage.

Plus de quatre décennies plus tard, aucune des deux promesses ne s’est matérialisée.

«Ils donnent de l’emplois à des gens qui viennent de loin, pas à nos maris ou nos enfants» : dit une femme.

Bien que les mères dépensent beaucoup d'argent pour l’éducation de leurs enfants, ces derniers finissent par rejoindre leurs mères aux champs par manque d’emploi adéquat.

L'accès à l'électricité s'est avéré difficile. 

À ce jour, les villages de Kilengo, Lundu, Lubwaku et Mvuzi 3 n'ont pas d'électricité, même s’ils sont à moins de 20 kilomètres des barrages Inga 1 et 2. 

Certaines femmes ont vécu toute leur vie sans jamais avoir apporté une ampoule dans leurs maisons.

Elles utilisent du bois de chauffe et du charbon de bois pour cuisiner, et des bougies pour éclairer leurs maisons. La fumée pollue leur maisons et rend vulnérable la mère et l’enfant aux maladies pulmonaires. 

Aucun de ces villages n'a de l’eau courante. Au Camp Kinshasa, un ancien camp d’ouvriers,  habité aujourd'hui par un mélange de personnes déplacées d'Inga 1 et 2, d'anciens travailleurs d’Inga et de leurs enfants, les filles doivent faire la queue pendant des heures pour remplir leurs seaux d'eau à partir du seul robinet qui se trouve dans le camp, desservant plus de 10 000 habitants.

Malgré ces défis, les ingénieuses femmes d'Inga ont créé des vies et des moyens de subsistance pour elles-mêmes. Mais maintenant, elles font face à une nouvelle menace.

Malgré l’échec d’Inga 1 et 2, la RDC met l'accent sur un nouveau projet sur le fleuve Congo: Grand Inga.

Le gouvernement congolais envisage exploiter à nouveau le potentiel de la rivière en construisant la plus grande centrale hydroélectrique proposée au monde.

La première phase du projet Inga 3 va envoyer de l’énergie à des lieux distants sans passer par les habitants et autochtones d’Inga. 

L'analyse économique que notre organisation vient de mener montre que Inga 3 conduira la RDC à s’enfoncer encore profondément dans la dette tout en ne faisant rien pour aider les gens ordinaires.

Il peut cependant mettre tous ces gens ordinaires, y compris les femmes d'Inga, hors de leurs maisons.

En 2014, la Banque mondiale a estimé que le barrage déplacerait près de 10 000 personnes: des femmes, hommes et enfants dont les moyens de subsistance dépendent entièrement de la rivière, de la terre et de la forêt.

Nous nous sommes rencontrés avec des femmes de Kilengo, Lundu, Mvuzi 3 et Camp Kinshasa, toutes faisant partis des villages qui seront touchés par le projet Inga 3 ; Elles nous ont dit que la vie n'est pas facile à Inga, mais au moins les familles peuvent s’en sortir.

"Nous avons ici des arbres fruitiers. Si nous partons ailleurs, où obtiendrons-nous de l'argent pour acheter des fruits pour nos enfants? ", a dit Madame Ngimbi, une femme de Mvuzi 3. 

Une autre femme a décrit : « s'occuper d'un membre de la famille qui est paralysé n’est pas facile avec ces déplacements qu’on nous impose » ; Elle  s’inquiète, comment va-t-elle se déplacer avec ce membre de famille !

Les femmes décrivent toutes comment elles doivent se confronter aux mêmes défis: pas d'électricité et une incertitude quant à ce que l'avenir réserve. Un traumatisme persistant et sans issue!

Chaque femme avait une histoire à raconter. "Où allons-nous partir? Au moins ici, nous pouvons cultiver nos terres, vendre nos produits et utiliser les bénéfices pour envoyer nos enfants à l'école », explique une femme de Kilengo. "

Cela me choque rien qu’en pensant à ce qui leur arrivera si une fois elles sont re-délocalisées. La population du camp Kinshasa a augmenté au cours des années; certains résidents de longue date ont attendu une compensation d’Inga 1 ou 2 depuis plus de 50 ans. Ils ne méritent pas un autre revers. 

"Non à Inga 3, nous voulons d'abord profiter des avantages de Inga 1 et 2", ont déclaré ces femmes.

Leur lutte ne concerne pas seulement l'accès à l'énergie, elles combattent aussi un système corrompu et injuste. C'est un système qui les place au bas de l’échelle: elles sont les dernières à recevoir de l'énergie ou d'autres avantages des projets de développement. 

Pourquoi le gouvernement de la RDC devrait-il envoyer de l'énergie à des milliers de kilomètres alors que les personnes dont les moyens de subsistance ont été détruits pour faire place aux plus grandes centrales énergétiques du pays vivent dans le noir?

Selon moi, le développement devrait commencer à la base - un effet "de capillarité". De nombreux projets d'infrastructures se produisent dans les zones rurales, où les populations  sont pauvres et vulnérables. Et la RDC, bien qu'elle soit riche en ressources, est l'un des Pays les plus pauvres du monde ! Quelle ironie du sort ! 

L'histoire prouve que ces projets laissent les communautés touchées encore plus pauvres, et enfermées dans le cercle vicieux de la pauvreté. Et si vraiment Inga pourrait d’abord bénéficier à la femme Congolaise, la femme qui se débrouille tant bien que mal pour donner une éducation à ses enfants. 

L'accès à l'énergie est un droit humain, qu'il s'agisse d'Inga ou de Kanyabayonga (dans l'est de la RDC). Nous avons également le droit de lutter contre un système qui, selon nous, ne va pas promouvoir le développement de notre pays, mais continuera à extraire nos ressources aux bénéfices des autres.

Est-il juste de sacrifier la vie des femmes, enfants et hommes pour fournir de l’énergie aux quelques élites? 

Ou devrions-nous repenser ce modèle de développement? 

Disons non à Inga 3, et oui à l'énergie qui apportera de la lumière à Kilengo, Lundu, Mvuzi 3 et beaucoup d'autres villages à travers la RDC.

Lisez notre rapport ici: “Endetté et à l’aveuglette : Analyse économique du projet d’Inga 3 en RDC.”

Ange Asanzi est Associée programme de International Rivers. Originaire de la RDC, elle habite et travaille maintenant à Pretoria, en Afrique du Sud.

Date: 
Tuesday, July 4, 2017