Le barrage de Kandadji, un projet de la Banque mondiale, laisse les communautés nigériennes à sec

En 2012, la Banque mondiale a approuvé un prêt de $203 millions pour la construction du barrage de Kandadji, au Niger. Cela a permis à une douzaine de bailleurs de fonds de compléter le financement de $785 millions pour ce projet, qui sera situé sur le fleuve Niger. Les retards de construction suite à un conflit avec la société engagée pour développer le projet et les problèmes liés à la réinstallation des personnes affectés, font du Kandadji un projet dont l'avenir est incertain.

Kandadji n’est pas n’importe quel projet; Kandadji a été présenté comme un moyen de produire 130 MW d'énergie nécessaire pour la capitale, Niamey, et aussi d'exploiter le débit du fleuve afain d'étendre le potentiel d'irrigation du Niger. Le vice-président pour l’Afrique de la Banque mondiale, Makhtar Diop, a décrit le projet comme « un projet de développement transformationnel qui offrira un nombre considérablement plus important d’opportunités aux communautés, plus de nourriture, d’eau et d’électricité, et qui réduira la pauvreté dans la région la plus pauvre de l’Afrique ».

La Banque mondiale a également pris soin de planifier le coût humain de la construction du barrage. Conscient de l'héritage troublé des impacts que tels projets ont sur les communautés déplacées, la Banque mondiale a entrepris la tâche herculéenne de superviser le processus de réinstallation de plus de 38.000 personnes situées aux alentours des rives fertiles du fleuve. Le programme de compensation comprendrait, la réinstallation des agriculteurs traditionnels dans des nouvelles maisons, offrir l’accès à l’irrigation, et le partage des revenus pour les projets de développement local.

Le processus a commencé en 2012 avec la réinstallation d’une première vague, d’à peu près 5500 personnes. Au début, beaucoup étaient optimistes quant aux avantages promis relatifs au projet, mais cet enthousiasme fut de courte durée. Alors que certains ont vu leurs conditions de vie s’améliorer, les plans d'irrigation des communautés réinstallées ont été mal conçus - sans surprise, la Banque mondiale elle-même a noté que ce genre de système d'irrigation fonctionne rarement en Afrique. La Banque mondiale a reconnu les difficultés du processus de réinstallation, en notant que « la délocalisation en cours pour la première vague reste considérablement retardée, et nécessitera d'importantes mesures d'amélioration ».

Young women travel far and wide in search of water
Jeunes femmes cherchant de l'eau
CNU-Niger et Canal 3 Niger

Entretemps, de nombreuses communautés déplacées ont du mal à accéder à l’eau potable, ainsi indiqué dans un nouveau documentaire du processus de réinstallation. Dans ce documentaire, Haoua Harouna, dans la communauté d'accueil de Gabou, dit: « Cela fait trois jours que je cherche de l’eau, en vain. J’ai soif. Je n’ai pas trouvé à boire. Mes amis non plus. L’eau est insuffisante pour la population. Ce problème dure depuis longtemps, et même dans les villages voisins où nous nous approvisionnions avant, l’eau est devenue de plus en plus salée. Elle est imbuvable ». 

La première vague de réinstallation était prévue comme un essai pour un groupe plus large de 33.000 personnes qui attendent leur tour, une fois la construction du barrage commencée. Remplies d’anxiété, ces communautés attendent d’être déplacées, comme retracée dans le documentaire. « Nous avons vu ce qui s’est passé pendant la première vague. Il y a eu beaucoup des fautes commises lors de la première vague. Nous ne voulons pas que ces mêmes fautes se répètent avec nous. Déplacer une population sans eau. Déplacer une population sans infrastructure. Tout ça ce sont des choses que nous ne voulons pas voir se répéter chez nous », dit Mohamed El Bachir, le chef de canton d’Ayorou, d’où la population devrait être déplacée. « Nous ne savons toujours vers où nous serons déplacés ».

Hon. Mohamed El Bachir, Chef de Canton, expressing concerns about conditions are resettlement sites
Hon. Mohamed El Bachir, chef de canton, exprimant sa préoccupation au sujet des conditions dans les sites de réinstallation
CNU-Niger et Canal 3 Niger

Il n’est pas le seul. Des rapports informels ont relevé les craintes qu'il n'y ait pas suffisamment de terres pour réinstaller les 33.000 personnes restantes, et que toutes les bonnes terres de la région aient été distribuées au cours de la première vague. Selon certaines sources, le consultant qui aurait préparé le rapport de faisabilité ne s’est jamais assuré que les terres arables mises à disposition par le gouvernement seraient suffisantes. Ce serait un coup dur pour ces communautés qui, depuis plusieurs années ont mis leur vie en suspens, en attente de la réinstallation. Ce serait aussi une violation majeure de la politique de la Banque mondiale, et compromettrait les efforts déployés récemment par la Banque pour remédier les défaillances systémiques dans le traitement de la réinstallation. En fin de compte, on ne sait pas où ces communautés iront, mais il est très probable qu’elles finissent dans les bidonvilles de Niamey.

Les problèmes de réinstallation à Kandadji ont été aggravés par une série de défis opérationnels qui ont mis en doute l’avenir du projet. Il y a eu des retards dans la désignation d'une nouvelle entreprise pour construire le barrage après que le gouvernement ait annulé le contrat avec le promoteur russe, ce dernier n'ayant pas respecté ses engagements. En même temps, l’impatience se fait sentir parmi les bailleurs de fonds, dont les prêts restent non décaissés.

Face aux échecs persistants du gouvernement à atteindre les étapes clés en matière de réinstallation, et en plein examen rigoureux de son bilan de réinstallation, la Banque mondiale envisage la possibilité de se retirer. Qu'est-ce que cela signifiera pour l'avenir du projet, surtout si d'autres suivent l'exemple de la Banque, tout cela n’est pas clair. Dans tous les cas, le retrait serait une maigre consolation pour les dizaines de milliers de nigériens dont les vies ont été affectées.

Entre-temps, la Banque mondiale soutient le projet du barrage de Fomi en Guinée près du cours supérieur du Niger, plus de 2000 km en amont de Kandadji. Cela va entraîner le déplacement d'environ 50.000 personnes, avec plus d'un million de personnes qui seront touchées par le barrage en aval au Mali. Fomi ferait face à des défis identiques ou plus grands que ceux de Kandadji.

Quoi qu’il en soit, la Banque mondiale semble incapable d'apprendre de ses leçons durement acquises ; avec toutes les innovations de la Banque, les communautés affectées par les barrages se retrouvent régulièrement dans des situations pires qu'avant. Kandadji est un autre modèle de barrage de la Banque mondiale qui tourne mal. 

Date: 
Tuesday, February 2, 2016