Appel à BHP Billiton pour stopper la fonderie congolaise, Inga 3

Date: 
Wednesday, December 15, 2010

M. Jac Nasser
Président de BHP Billiton Limited et de BHP Billiton Plc

OBJET: Fonderie d’aluminium BHP Billiton et projet Inga 3 proposés en République Démocratique du Congo

M. Nasser,

Nous souhaitons attirer votre attention sur les impacts négatifs des négociations que BHP Billiton mènent actuellement avec le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) concernant une fonderie d’aluminium de 5 milliards $ près du port de Banana sur la côte Atlantique qui sera alimentée par le projet Inga 3 proposé. Dans l’un des pays les plus pauvres et les plus corrompus du monde, tout laisse à croire que cette entreprise purement commerciale ne va faire qu’accentuer la pauvreté existante. Sans une intervention appropriée, cette entreprise privera le peuple congolais d’électricité, d’emplois et de développement.

Historique du projet
En février 2006, BHP Billiton a signé un Protocole d’Entente (PE)  avec le gouvernement congolais pour développer une gigantesque fonderie d’aluminium, qui est maintenant estimée à 5 milliards $, dans la Province du  Bas Congo. Cette fonderie produirait 800,000 tonnes d’aluminium par an et consommerait 2,500 MW d’électricité. Les conditions préalables pour la construction d’une fonderie incluent la disponibilité de l’électricité produite par le projet hydraulique Inga 3 proposé de 3.5 milliards $ et la construction d’un port de haute mer de 500 millions $. En 2007, BHP Billiton a accepté de financer une étude de faisabilité pour le projet Inga 3 de 4,500 MW. Le port de haute mer de Banana pourrait être construit dans le cadre d’un accord infrastructure/minéraux qui est en cours de discussion entre les gouvernements de la RDC et de la Corée du Sud.

Le PE entre BHP Billiton et le gouvernement congolais était en contradiction avec l’accord Westcor préexistant signé par la RDC en 2004, pour développer et partager équitablement l’électricité produite par Inga 3 avec quatre autres pays africains. Il semble que BHP Billiton ait négocié la fonderie proposée en dépit du litige que cela causerait au sujet de l’alimentation électrique. Les intérêts de BHP Billiton ont conduit, au bout du compte, Westcor à annuler le projet Inga 3, ce qui a entraîné une détérioration des relations entre le gouvernement congolais et d’autres gouvernements membres de Westcor. Le comportement de BHP Billiton a laissé pensé que la société pourrait faire valoir ses intérêts dans Inga 3 et la fonderie d’aluminium à n’importe quel prix.

Conséquences sur le secteur de l’énergie électrique

Seuls 6% du peuple congolais ont accès à l’électricité, ce qui représente l’un des taux d’accès les plus bas au monde. Le gouvernement congolais s’est fixé l’objectif d’augmenter l’accès à l’électricité à 60% de sa population d’ici 2025. Cependant, le développement d’Inga 3 ne soutient pas activement cet objectif, et ferait probablement même déraillé toute tentative de réalisation de cet objectif. Les dépenses d’investissement requises pour Inga 3 réduiraient les ressources du gouvernement destinées à des barrages hydroélectriques plus petits dans des zones qui ne sont actuellement pas électrifiées. L’excédent d’électricité produit par Inga 3 pourrait être exporté vers Kinshasa, l’industrie minière du Katanga ou même l’Afrique du Sud, mais cela n’améliorera en rien le taux d’accès à l’électricité de la RDC. Sans un plan gouvernemental clair pour atteindre le taux d’accès à l’électricité visé par la RDC  (60% d’ici 2025), les négociations de BHP Billiton auront une influence négative sur l’élargissement indispensable du réseau de distribution électrique national.

Les efforts actuels entrepris pour réhabiliter le réseau électrique congolais, à savoir les barrages Inga 1 et Inga 2 situés à proximité du site proposé d’Inga 3, sont bloqués. Cette situation est sans doute le résultat de manque d’intérêt du gouvernement pour exécuter efficacement le plan de réhabilitation au profit du public congolais. Les systèmes corrompus au sein du gouvernement pourraient aussi provoquer des retards et susciter des préoccupations en matière de responsabilité financière. En continuant à développer le projet Inga 3 en dépit du manque d’aptitude du gouvernement congolais à réhabiliter le réseau électrique national, BHP Billiton affiche son indifférence à l’égard du peuple congolais.  

Conséquences sur le développement
Les fonderies d’aluminium créent quelques uns des emplois ayant la plus forte intensité d’énergie au monde. D’après BHP Billiton, la nouvelle fonderie créerait 1 200 emplois permanents et nécessiterait 1 600 sous-traitants, ce qui représenterait 4 286 MWh d’électricité consommée par emploi/sous-traitant,  ce qui est un chiffre exorbitant. Bien que ces emplois et sous-traitants locaux soient importants, ils représentent un coût d’option d’investissements similaires qui pourraient créer davantage d’emplois et stimuler le développement local. Le fait d’attirer une variété d’industries de fabrication et de transformation dans la région pourrait créer un nombre bien plus élevé d’emplois, stimuler l’économie locale tout en consommant la même quantité d’électricité, voire une quantité inférieure.

Les fonderies d’aluminium payent aussi les tarifs d’électricité les plus bas au monde. D’autres consommateurs d’électricité, en particulier les ménages congolais, courent le risque de payer des tarifs d’électricité plus élevés pour compenser les tarifs disproportionnellement faibles que BHP Billiton devrait négocier.

Pour justifier les bas tarifs d’électricité et la création d’emploi à forte intensité d’énergie dans un pays possédant des taux d’accès à l’énergie aussi bas et un chômage aussi élevé, il est probable que d’autres avantages économiques et financiers devront compenser le coût d’option. Cependant, les contrats d’investissement réduisent en général les fardeaux fiscaux et les taux des redevances versées à l’État. Les avantages économiques indirects, tels que la création d’emplois indirects, peuvent aussi s’avérer trompeurs car ils accompagneraient probablement aussi des investissements dans d’autres industries nouvelles.

Sans transparence dans les contrats d’investissement et de vente d’électricité entre BHP Billiton et le gouvernement congolais, il est probable que ces contrats accorderont des modalités préférentielles à BHP Billiton, aux dépens du peuple congolais qui seront lésés en termes de revenus non perçus par l’État et de projets de développement ultérieurs.

Recommandations
Compte tenu de ces facteurs, nous craignons que les plans commerciaux de BHP Billiton visant à développer sa gigantesque fonderie d’aluminium en utilisant l’électricité produite par Inga 3 représentent un coût beaucoup trop cher pour les citoyens congolais. Nous demandons à BHP Billiton de collaborer au développement du peuple congolais en prenant les mesures suivantes:

  • Afin d’attirer l’attention du gouvernement sur la réhabilitation du réseau électrique existant et les objectifs d’accès à l’électricité, nous appelons BHP Billiton à:
    • Accepter un moratoire sur la promotion et la planification d’Inga 3 jusqu’à ce que la réhabilitation d’Inga 1 et d’Inga 2 soit achevée avec succès et que le gouvernement ait préparé un plan d’action pour atteindre son objectif d’accès à l’électricité de 60% d’ici 2025;
    • Ne passer aucuns accords financiers pour le développement d’Inga 3 ou la fonderie d’aluminium proposée jusqu’à ce que le secteur de l’énergie électrique congolais ait démontré, après la réhabilitation, qu’il était capable d’exploiter avec efficacité, sur le plan financier et technique, ses barrages d’Inga 1 et d’Inga 2 et ce, pour une période d’au moins deux ans.
  • Afin de s’assurer que les projets apporteront des avantages économiques équitables au peuple de la RDC, nous appelons BHP Billiton à communiquer les modalités de son PE avec le gouvernement congolais et accepter la transparence des modalités des futurs contrats liés au développement d’Inga 3 et de la fonderie d’aluminium.

Nous pensons que BHP Billiton prend son engagement envers le développement durable très au sérieux. Nous vous demandons de prendre les mesures susmentionnées dans l’esprit de cet engagement. Sans ces mesures, les bénéfices réalisés par BHP Billiton grâce à ces investissements saperaient le développement du peuple congolais. Nous attendons votre réponse avec impatience.

Veuillez agréer, Monsieur Nasser, l’expression de nos sentiments distingués.

Cordialement,

 
Jean Claude Katende
ASADHO - Association Africaine de Défense des Droits de l'Homme ASADHO (RDC)

Claude Kabemba
Southern Africa Resource Watch (Afrique du Sud)

Nondo E. Ejano
Women's Global Network for Reproductive Rights (Tanzania/ Philippines)

Anabela Lemos
Justiça Ambiental!
Friends of the Earth- Mozambique

Bobby Peek
groundWork, Friends of the Earth - Afrique du Sud

Natalie Lowrey
Friends of the Earth - Australia

Geoff Nettleton
Indigenous Peoples Links (Royaume Uni)

Anders Lustgarten
CounterBalance (UE)

Nick Hildyard
The Corner House UK

Maurice Carney
Friends of the Congo (Etats-Unis)

Jan Cappelle
Capacity for Development (Belgique)

Terri Hathaway and Lori Pottinger
International Rivers (Etats-Unis)

Richard Solly
London Mining Network (Royaume Uni)

Knud Vöcking
Urgewald e.V. (Allemagne) 


Cc

Mr. Ian Wood
Vice-président du Développement Durable
BHP Billiton

Dr. Xolani Mkhwanazi
Président et Directeur en Chef de l’Exploitation, Aluminium l’Afrique du Sud
BHP Billiton

Latest additions: