Le plus grand projet hydroélectrique du monde s’égare

By: 
Peter Bosshard
President Kabila visiting China's Three Gorges Dam
President Kabila visite le barrage des Trois Gorges en Chine

La Banque Mondiale, le Conseil Mondial de l'Energie et l'industrie des barrages ont présenté le barrage d’Inga 3 comme un « rêve pour l'Afrique » et un modèle en termes de leçons tirées de l'expérience passée des mégaprojets. A présent, le projet hydroélectrique sur le Congo se transforme en stratagème politique avec un mépris total pour les personnes impactées et l'environnement.

Le barrage d’Inga 3 est la première étape du projet Grand Inga de 40 000 MW, le plus grand complexe hydroélectrique au monde. Même si plus de 90% de la population de la RDC n'a pas accès à l'électricité, le projet générera principalement de l'énergie pour les sociétés minières et les marchés d'exportation.

En 2013 et 2014, la Banque Africaine de Développement et la Banque mondiale ont approuvé141 millions de dollars de subventions pour la préparation du projet de 14 milliards de dollars. Les bailleurs de fonds multilatéraux n'ont pas abordé les avantages douteux du mégaprojet, mais leur implication a au moins donné l'assurance qu'Inga 3 devrait respecter les normes internationales en matière sociale, environnementale et anti-corruption. 

The Inga Falls
Les chutes d'Inga

Cela sera-t-il le cas ? En septembre 2015, la société australienne SMEC a remporté le contrat pour la réalisation des études d’impacts sociaux et environnementaux du projet et du plan de réinstallation du projet. Selon des sources internes, le gouvernement de la RDC n'a pas été satisfait de la sélection de l'entreprise, et a refusé de travailler avec SMEC. En vertu des directives de passation des marchés de la Banque mondiale, les entreprises sont mises sur liste noire si elles soudoient des fonctionnaires; Nous ne pouvons que supposer que les fonctionnaires du gouvernement n’auraient pas reçu ce qu'ils attendaient de la part de la société australienne.

Plus de deux ans après l'approbation des subventions de la Banque mondiale et de la BAD, les études d'impact social et environnemental pour Inga 3 n'ont pas encore commencé. Pourtant, au début de mai, Bruno Kapandji, le chef de l’agence pour le projet Grand Inga, a annoncé que le gouvernement de la RDC sélectionnerait les promoteurs du méga-barrage dans les trois mois à venir et que la construction commencerait en juin 2017.

Le gouvernement de la RDC affirme qu'Inga 3 est sous la pression du temps car le contrat avec l'Afrique du Sud, principal acheteur de l'électricité du projet, expirera en 2021. Le gouvernement sud-africain pourrait ne pas être prêtà renouveler le contrat après que le président Zuma, soutenant Inga 3 en dépit d’une opposition considérable, se retire en 2019. Bien sûr, le gouvernement de la RDC a toujours su cela, le contrat sud-africain n’est donc pas la seule explication à cette précipitation soudaine. 

Nanochromis splendens - one of the 1269 fish species in the Congo River
Nanochromis splendens - l'une des 1269 especes de poissons du fleuve Congo

Peut-être plus important encore, le président Congolais Kabila veut rester au pouvoir après son second mandat qui se termine fin 2016. Une telle manœuvre violerait la constitution, et Kabila devra soudoyer un grand nombre de politiciens pour la rendre possible. Signer des contrats de plusieurs milliards de dollars avec les développeurs d'Inga 3 serait certainement pour lui un bon moyen d’améliorer ses relations avec les hommes influents du pays.

Le fleuve Congo a la deuxième plus grande diversité d'espèces de poissons après l'Amazone, et le barrage Inga 3 aurait un impact conséquent sur les pêcheries riches du Bas-Congo. Pourtant, en dépit des plans visant à accélérer la construction du projet, le gouvernement de la RDC n’a toujours pas fait avancer les études d'impact social et environnemental. Lors d'une réunion avec des groupes de la société civile en avril, Bruno Kapandji a soutenu que les premières études de faisabilité (qui n'avaient pas évalué les impacts environnementaux en détail) avaient conclu que le projet n'aurait aucun impact négatif. Lors d'une réunion au début du mois de mai, Kapandji a demandé à International Rivers et à notre partenaire congolais CORAP si les ONG ne pouvaient pas "commanditer ou financer ces études".

Il est choquant que le plus grand projet hydroélectrique du monde, projet modèle de la Banque mondiale et du Conseil mondial de l'énergie, puisse aller de l'avant sans une évaluation de ses impacts sociaux et environnementaux et un plan de réinstallation en place. La Banque mondiale et la BAD ont jusqu'à présent gardé le silence sur le désordre qu'ils ont contribué à créer. Il est temps pour eux de clarifier leurs positions et de se retirer du projet.

Bruno Kapandji, directeur de l’agence du projet Grand Inga, a clairement indiqué qu'il espérait attribuer le contrat Inga 3 à un consortium chinois et construire le projet avec un financement chinois. Début mai, il a déclaréque les entreprises chinoises pourraient compléter le projet dans un « maximum de cinq ans et si elles sont libres de faire ce qu'elles veulent faire, elles peuvent même le faire en quatre ans. 

Bruno Kapandji, Grand Inga Project Director
Bruno Kapandji, Directeur du projet Grand Inga

Le gouvernement chinois a demandé à ses constructeurs de barrages de ne pas construire de projets à l'étranger sans étude d’impact environnementale. La Compagnie chinoise des Trois Gorges et Sinohydro, membres des consortiums chinois, se sont toutes deux engagés à ne construire aucun projet sans ces études. La construction du barrage d'Inga 3 sans diligence raisonnable en matière d’environnement minerait sérieusement les efforts des entreprises chinoises pour renforcer leur bilan environnemental.

Pourquoi les acteurs chinois considèrent-ils de soutenir Inga 3 même si le projet viole les normes chinoises et internationales de base ? Est-ce que les intérêts géopolitiques - et en particulier les intérêts miniers de la Chine en RDC - excèdent la responsabilité financière et environnementale ? L'intérêt du gouvernement chinois à soutenir le président Kabila et à protéger ses projets miniers congolais annihile-t-il toute préoccupation concernant la réputation de ses entreprises ?

Tous les investisseurs qui mettent 14 milliards de dollars dans un projet dont le contrat principal peut expirer avant qu'il ne soit terminé feront un pari risqué. Tous les constructeurs de barrage qui soutiennent un méga-barrage sans respecter le principe de précaution en matière sociale et environnementale vont s'établir comme des acteurs ne respectant pas les standards reconnus. Grand Inga restera sous le feu des projecteurs publics.

Peter Bosshard est le directeur exécutif intérimaire d'International Rivers. Il tweet sur @PeterBosshard.

 
Date: 
Tuesday, May 24, 2016